Psychopathologie : CM n°6&7

L’évolution des attitudes envers le malade et son traitement

La place de la maladie mentale dans l’antiquité gréco-romaine – L’apport de la médecine arabe :

Des philosophes se sont interrogés sur l’essence de la folie, des juristes ont tenté de limiter les dégâts de la folie sur la société et les dramaturges qui font de la folie du héros le sujet de leurs œuvres.

Une médecine scientifique :

Le premier médecin est Hippocrate (5ème siècle avant J-C) qui élabore progressivement la théorie humorale (des humeurs) de la maladie qui est un déséquilibre dans ces humeurs symbolisé par le sang (cœur), le flegme (cerveau), la bile jaune (foie) et la bile noire (rate). Il n’y a pas de séparation entre maladie du corps et de l’esprit : toutes les maladies sont physiques, ont une cause biologique et relèvent d’un traitement somatique. Les troubles peuvent être aussi bien dus à des facteurs internes ou externes. Les Grecs accordent beaucoup d’importance aux régimes alimentaires, massages et promenades, dans les thérapies.

La médecine religieuse :

Elle a été initiée avant Hippocrate et se développera jusqu’à l’avènement de la chrétienté (4ème siècle après J-C). Elle consiste en une thérapeutique par le rêve : onirothérapie. Il y a de nombreuses croyances et rituels magiques. On croit aux signes et à la divination et on invoque les dieux. Le culte du dieu de la médecine Asclépios est introduit au 6ème siècle avant J-C. Il est symbolisé par un vieillard s’appuyant sur un bâton sur lequel est enroulé un serpent, et son culte se déroule dans de nombreux sanctuaires.

L’apport de la médecine arabe :

Ce sont les Arabes qui vont faire connaître en occident la médecine antique. On considère l’apogée de la civilisation arabe vers le 9-10ème siècle après J-C. Le traité « Ishaq Ibn Amran » sur la mélancolie a l’originalité d’introduire des causes psychologiques. Il insiste sur la nécessité psychologique des malades.

Le malade mental dans la société médiévale :

Il y a ambivalence envers la folie entre compassion et peur. On accorde une conception surnaturelle à la folie : lutte entre Satan et Dieu. Il y a les démoniaques, possédés du démon (exorcisme), les pêcheurs insensés, les simples d’esprit et les fous de Dieu. Il y a tout de même une conception naturelle de la folie qui est présentée comme acceptable (utilisée dans les romans, comme l’amour insensé etc.). Il y a donc une constante interpénétration entre folie ordinaire et extraordinaire.

Tolérance et intégration :

Les soins médicaux :

Les thérapies proposées pour guérie les maladies mentales sont nombreuses et diversifiées. Le malade est soigné dans sa famille et parfois hébergé dans un monastère et de rares fois, hospitalisé pour être aidé. Le fou était attaché aussi bien pour le protéger contre lui-même que pour garantir la sécurité des autres. Les fous étaient rasés soit totalement, soit en croix. Les médicaments utilisés sont soit des substances spécifiquement psychotropes, soit des substances utilisées pour d’autres maladies somatiques. Pour endormir ou calmer le malade, on utilisait l’opium et les solanacées (mandragore et jusquiame). Dans les cas de mélancolie ou de léthargie, on donne au malade des médicaments toniques et on fait des préparations à base de cannelle, de menthe et de poivre. On administrait systématiquement des purgatifs afin d’éliminer leurs humeurs superflues ou corrompues et on utilisait les saignées. L’hydrothérapie est également très conseillée (immersion dans des bains chaud, tièdes ou froids). La chirurgie est aussi utilisée (trépanation du crâne puis extraction des pierres de folie). Des règles d’hygiène et de diététique sont prescrites : Arnaud de Villeneuve propose une « psychothérapie » directement d’inspiration Platonicienne avec confiance du malade pour son médecin qui utilise la persuasion et la suggestion.

Le recours aux Saints guérisseurs :

On dénombre 35 Saints spécialisés dans le traitement de la folie et environ 70 qui guérissent les affections mentales au milieu d’autres maladies. L’action de guérir par le miracle est dite thaumaturgique. Certains Saints exercent leurs actions de leur vivant parmi lesquels saint François d’Assise, saint Dominique et saint Bernard. On leur apporte essentiellement des possédés qu’on amène pour un exorcisme. La délivrance du possédé représente la guérison par excellence. La plus souvent, on fait appel aux pouvoirs post-mortem thaumaturgiques des guérisseurs lors de pèlerinages dans des sanctuaires avec des reliques. Il y a trois grands lieux de culte : saint Mathurin à Lanchard, sainte Dymphne à Geel (Flandre) et saint Acaine à Haspres. Au 13ème siècle, la durée d’un séjour dans un sanctuaire s’est uniformisée vers 9 jours (variable au 11ème et 12ème siècle) avec un rituel précis et symbolique. Les possédés représentent 8 à 10% des guérisons miraculeuses à cette époque mais on peut aussi prendre un certain nombre de paralysie de nature hystérique.

La folie, itinéraire initiatique :

A travers l’aspect romantique de la folie dans les romans, l’expérience de la folie peut représenter un itinéraire en partie expiatoire qui correspond à une maturation psychologique et morale.

Marginalisation et exclusion :

Ces attitudes négatives sont suggérées par la peur de la différence et de la violence. Le fou est associé au mal et un processus de régulation sociale va se mettre en place pour contenir l’anormalité, la marginaliser ou l’exclure.

Un statut juridique particulier :

Le fou a difficilement accès aux sacrements ainsi qu’à ses biens. Comme l’expertise médicale n’existe pas, les juges procèdent par enquête avec des déclarations sous serment pour conclure à l’aliénation ou la débilité mentale. Les interdictions sont prononcées par le juge sur la requête de l’entourage et la même sentence désigne un curateur ou tuteur (choisi souvent parmi les membres de la famille). Ce tuteur ou curateur est responsable des biens de l’aliéné, et est chargé de sa protection en l’empêchant de se suicider ou de commettre des délits.

Rejet et exclusion :

Dans le droit de cette époque, l’enfermement des fous dangereux est préconisé. S’il parvient à s’enfuir, le fou est réduit à l’errance et la mendicité. Ils sont parfois chassés ou abandonnés. Cependant les fous bénéficient de circonstances atténuantes car considérés comme irresponsables de leurs actes. Ils n’ont pas de bâtiment spécifique (sauf rares exceptions), sont dans des prisons communes, parfois enfermés dans les remparts des villes ou enchaînés. Le droit distingue deux catégories de suicides (très mal vu à l’époque) : des « fous et hors de sens » (donc irresponsables) et de ceux qui ont agit de « propos délibérés » par désespoir (classé parmi les vices).

Politisation de la folie :

Il y a multiplication des fous à gage à partir du 11ème siècle et surtout au 12ème siècle dans les cours royales par exemple. Il s’agissait selon des études, de gens atteints de pathologies plutôt modérées : arriération mentale (simple d’esprit) ou personnalité pathologique (discours irrationnels ou excentricités).

L’aide classique et l’idéologie du « grand renfermement » des malades mentaux (Michel Foucault) :

L’idéologie du grand renfermement :

Avant, les fous étaient très rarement internés, ils étaient gardés dans leur famille ou errants.

Au 16ème siècle, il y a de plus en plus de mendiants qui vont poser problème. Des lois vont donc être mises en place pour les limiter.

Les autorités vont multiplier les édits d’interdiction de l’errance ou de la mendicité. L’édit de 1656 est le dernier d’une vingtaine d’édits qui vont engendrer l’enfermement progressif des chômeurs, estropiés, prostituées, déserteurs et un certain nombre d’épileptiques et de malades mentaux.

L’Hôpital Général au 17ème siècle est spécialement dédié aux insensés. C’est une réunion de locaux visant à l’internement des insensés parmi lesquels La Pitié, Bicêtre, La Salpêtrière etc. On y enferme environ 5000 personnes errantes parmi 40000 mendiants. Ce phénomène va se développer par la suite dans le reste de l’Europe.

Parmi les victimes de l’enfermement, il y aura de nombreux fous. Avant on refusait d’interner les vénériens et les insensés alors qu’avec l’Hôpital Général, les insensés vont être pris dans un désir d’assistance malgré l’aspect répressif des édits.

Du ratage de l’Hôpital Général et naissance de l’aliénation :

A part dans de très rares lieux comme Bicêtre ou la Salpêtrière, il n’y aura pas de réelle prise en charge des insensés (seulement 5 ou 10% pris en charge).

Sur simple lettre d’une autorité (lettre de cachet), on peut faire interner quelqu’un. Les maisons de force sont l’équivalent des maisons de rééducation pour réinsérer les individus dans la société. Tout ceci mène à un internement arbitraire qui se multiplie vers le 18ème siècle. A l’origine les maisons de force étaient réservées aux prisonniers politiques : lourde répression. Le roi encourage certaines institutions religieuses à admettre des correctionnaires dans leurs murs.

Les dépôts de mendicité sont crées sous Louis 15 et servent à l’internement de nombreux mendiants dont des insensés.

Philanthropie et folie (1774-1791) : c’est là que toute la doctrine de l’assistance publique va se développer avec la révolution. La folie devient à l’ordre du jour dans les projets de réforme hospitalière. Il y a réhumanisation du traitement des insensés.

La naissance de l’aliénation : Pinel et le traitement moral :

Le traité médico-philosophique de l’aliénation mentale et de la manie (1800) :

Il apporte un regard nouveau sur la folie avec un essai de description clinique et la mise au point d’une véritable pratique thérapeutique justifiée. Pinel démystifie la folie pour l’étudier scientifiquement.

Le traitement moral et son échec :

Pinel va tâcher de dissocier la morale du moral. Son traitement n’est pas censé moraliser le sujet mais le traiter sur un plan psychique car le traitement physique ne convient pas. « Un traitement moral prend l’individu par son côté moral, intellectuel et affectif, étant entendu qu’une action du moral sur le physique est possible ». La parole devient avec Pinel le moyen thérapeutique par excellence. Mais face au débordement du transfert, le cadre va se rigidifier et aboutir à un échec après Esquirol.

La loi du 30 juin 1839 et la naissance de l’asile :

Réglementation de l’internement. La décision médicale est doublée d’une décision judiciaire. Placement d’office ou placement volontaire (sur demande d’un tiers). Cette loi ne sera modifiée que le 27 juin 1990 (avec hospitalisation à la demande d’un tiers, placement d’office, sauvegarde de justice avec administration des biens et tutelle ou curatelle). Cette loi stipule aussi que chaque département doit posséder un asile.

Des bâtisseurs d’asiles :

A partir de 1838, beaucoup d’asiles sont battis et en 1870 la guerre interrompt ces constructions. Dès 1874, les dépenses pour les aliénés ne sont plus obligatoires. La vocation thérapeutique disparaît et le surpeuplement se fait sentir. En 1939, il existe une petite centaine d’asiles dont 69 publics et 22 privés. En 1939, 16 départements sont dépourvus d’établissements spéciaux.

Les thérapeutiques institutionnelles et la desinstitutionnalisation :

Première critiques de l’asile :

Le Front Populaire va changer les dénominations : on parle d’hôpital psychiatrique, d’infirmier psychiatrique (à la place de gardien) et de malade mental. 40% des malades mentaux décèdent de carences alimentaires durant l’occupation ce qui a provoqué des critiques. Les psychiatres vont prendre conscience, enfermés avec leurs malades, de l’aliénation induite par l’asile. Les textes juridiques et administratifs vont évoluer, notamment sur la formation du personnel. L’hôpital devient un lieu de compréhension et de soin : ambiance psychothérapeutique avec des liens avec la société (visites par exemple). En 1952, les neuroleptiques apparaissent, ce qui va grandement aider les thérapies.

Précurseurs de la desinstitutionnalisation en France :

Daumezon fait la première expérience de psychothérapie institutionnelle en introduisant une vie sociale à l’intérieur de l’asile. Il s’intéresse à la hiérarchie rigide entre médecin et infirmier qu’il juge anti-thérapeutique. Il considère que le patient revit ses conflits passés dans l’univers hospitalier.

Tosquelles s’installe en 1940 à Saint Alban et crée des ateliers et clubs pour ré-humaniser l’hôpital. Il multiplie les contacts avec la société environnante pour changer la vision des gens sur les malades mentaux. Il combattra la manque de nourriture pendant l’occupation en faisant fabriquer et vendre des objets par les malades.

Sivadon anime le centre de traitement et de réhabilitation sociale de Ville-Evrard jusqu’en 1942. Importance du retour vers l’extérieur pour les malades.

L’anti-psychiatrie :

Contestation de la prise des schizophrènes sous l’influence de la psychanalyse. Peu d’applications pratiques de ce mouvement en France mais une grande influence dans le milieu psychanalytique. La maladie mentale est un moyen de survie qui doit être respecté : remise en cause des structures hospitalières par Cooper, Esterson et Laing qui fondent la « philadelphia association », lieu d’accueil pour les malades où la volonté de soin est moins directe.

Le mouvement de desinstitutionnalisation au Royaume-Unis et aux USA :

-          Nouvelles structures intermédiaires et mouvement de desinstitutionnalisation : l’idée est de réhabiliter le malade. La structure intermédiaire est donc un lieu de transition entre les hôpitaux psychiatriques et le monde extérieur. Les psychiatres jouent un rôle de médiateur entre malade et société. La desinstitutionnalisation consiste en « l’élimination des institutions traditionnelles pour les soins des malades mentaux et l’évacuation progressive de ces lieux par les patients déjà hospitalisés ». En même temps, il y a une expansion simultanée des installations thérapeutiques dans les structures intermédiaires.

-          La desinstitutionnalisation dans les pays anglo-saxons : en 1963, Kennedy signe le « community mental health Act » qui préconise la construction de centres communautaires de santé mentale. Un texte similaire a été signé au Royaume-Unis en 1959.

-          La politique de sectorisation en France : les services sont de plus en plus spécifiques et dédiés dans les structures de soin.

-          Basaglia et l’expérience Italienne : il dépasse la desinstitutionnalisation et obtient la mise en place d’une loi en 1978 qui vide les hôpitaux psychiatriques et traite le malade mental comme un autre malade. Cette politique a duré une quinzaine d’années, il n’y a pas eu de hausse de la criminalité mas certains cas ne peuvent pas être gérés de cette façon : perte de rituels qui les structuraient.

-          Le débat actuel : les limites de la desinstitutionnalisation.  En Angleterre et aux Usa, il y a eu des critiques envers la manque de prise en charge de certains malades. De plus, la prise en charge des différents malades a été longue à faire.

 

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