Histoire de la psychologie : CM n°5&6 Les débuts de la psychologie en France Introduction : Ce qui caractérise la psychologie française c’est sa référence centrale à la pathologie mentale. Elle est conçue comme une méthode expérimentale de la psychologie. Elle permet d’étudier la psychologie « normale ». Il y a deux références : Claude Bernard (1813-1878) avait écrit « Introduction à l’étude de la médecine expérimentale » et affirme que les lois de la santé et de la maladie sont les mêmes : continuité du normal au pathologique qui est un affaiblissement ou une exagération des fonctions « normales ». Les psychologues vont reprendre cette idée. Hippolyte Taine (1828-1893) a écrit « De l’intelligence » (1870) où il décrit une sorte de psychologie générale et dit que la maladie mentale constitue une expérimentation naturelle qui grossit les phénomènes que l’on veut étudier (parallélisme avec le microscope). La seconde référence est la référence évolutionniste avec Ribot qui considère que la maladie mentale est une régression sur l’échelle de l’évolution : stades antérieurs, plus automatiques et moins complexes (même idée que Jackson). Les psychologues rejettent la philosophie dominante (spiritualiste) pour se tourner vers la médecine. Le « contexte hypnotique » : Jean Martin Charcot (1825-1893) : C’est un neurologue qui se voit confié le quartier des épileptiques simples (contenant aussi des hystériques) à la Salpetrière en 1870. Il va s’employer à faire de l’hystérie une vraie maladie avec une symptomatologie fixe (alors qu’elle était considérée comme toujours changeante). Grâce à la méthode anatomoclinique, il va tenter de trouver une lésion chez les hystériques mais n’en trouve pas. Il parle alors de lésion dynamique (pas organique), indétectable pour l’époque selon lui. Il se met à utiliser l’hypnose (aussi appelée le somnambulisme provoqué) en 1875. Il pense qu’il y a une similitude entre certains états hypnotiques et certaines manifestation hystérique. Il s’emploie donc à caractériser les états hypnotiques : la catalepsie (regard fixe, visage impassible, individu anesthésique qui peut prendre des expressions différentes selon la façon dont on positionne ses membres), la léthargie (sommeil profond avec possibilité d’hyper-contracture) et le somnambulisme (possibilité de suggestion). Selon Charcot, seuls les hystériques sont hypnotisables (valeur diagnostique et expérimentale). L’hypnose permettrait de reproduire les symptômes hystériques pour mieux les répertorier. A partir de 1884, ses thèses sont contestées par l’école de Nancy et surtout par Hippolyte Bernheim. Hippolyte Bernheim (1840-1919) et le thème de la suggestion : C’était un professeur de clonique médicale qui était à Nancy où il rencontre Liebeault, médecin de campagne qui soignait ses malades après les avoir hypnotisés, par suggestion (alors que le magnétisme et l’hypnose avait été condamnés). Bernheim constate qu’il est possible d’endormir des sujets non-hystériques et en conclut que tout le monde est hypnotisable à un degré variable. Pour lui, l’important dans l’hypnose est la suggestion car c’est elle qui provoque le sommeil hypnotique. On peut faire des suggestion à l’état de veille (même si c’est moins efficace). Pour lui, la suggestion est toute idée acceptée par le cerveau et il dit qu’on « actionne » le sujet par l’affirmation : rôle de la parole. Il dit que les anciennes méthodes avec l’eau, l’électricité ou les métaux provoquent juste une autosuggestion du malade qui, en y croyant, peut guérir. Il va employer la suggestion comme méthode thérapeutique : la psychothérapie. Il l’utilise pour soigner les enfants vicieux ou soulager la douleur liée à certaines maladies. Pendant 10 ans, la suggestion va tenir d’explication pour la plupart des conduites et déviances individuelles et sociales. En 1913, Janet parlera de véritable tyrannie de la suggestion. Il y a, à l’époque de Bernheim, un véritable intérêt pour le dédoublement de la personnalité, notamment avec le cas Félida étudiée par Azam qui introduit l’idée de multiplicité du psychisme humain (pas d’unité du moi). La psychologie française au début du 20ème siècle : Theodule Ribot (1839-1916) : Il fonde en 1876 la « revue philosophique » et va publier « les maladies de la mémoire ; la volonté ; la personnalité ». Il fonde la méthode pathologique reprise par Janet. Il est aussi le premier à avoir une chaire de psychologie au collège de France. Il est philosophe et va lancer la tradition française d’être à la fois philosophe et médecin pour les psychologues français. Alfred Binet (1857-1911) : A ses débuts, il va mener des recherches à la Salpêtrière chez Charcot avec un médecin et publie des travaux sur l’hypnose. En 1894, il devient le directeur du laboratoire de psychologie physiologique de la Sorbonne fondé par le physiologiste Henry Beaunis (laboratoire semblable à celui de Wundt) repris par Henri Piéront (toujours à Paris 5). Il utilise la crâniométrie pour étudier les enfants d’intelligences inégales. Il s’intéresse à la psychologie de sujets exceptionnels (grands joueurs d’échecs, calculateurs prodiges, auteurs dramatiques). Il considère que l’introspection est la méthode par excellence de la psychologie et il applique cette méthode dans « l’étude expérimentale de l’intelligence » (1903) qui porte sur ses deux filles qu’il entraîne à pratiquer l’introspection pour « étudier dans l’idéation ce qu’il y a de personnel à chacun de nous ». C’est ainsi qu’il mettra en évidence les types d’intelligence. Il rencontre Théodore Simon et va mettre au point son test d’intelligence qui aura peu de succès au début mais beaucoup aux USA. Il va publier toute une série d’articles sur l’aliénation mentale. C’est un personnage atypique car il n’est ni philosophe, ni médecin. Piéront lui succèdera en 1912 et redonnera au laboratoire une orientation « à l’allemande ». Pierre Janet (1859-1947) : Il va être considéré comme le grand psychologue français de l’époque. Il est le neveu d’un philosophe spiritualiste, Paul Janet, qui l’a beaucoup influencé. Il lest nommé au lycée du Havre et fait des travaux sur des hystériques et en 1889, il soutient sa thèse de lettre (en philosophie) : « l’automatisme psychologique » qui est considéré comme un événement. En 1893, il soutient sa thèse de médecine : « l’état mental des hystériques ». Il crée le laboratoire de psychologie de la clinique et va être chargé d’un enseignement de psychologie expérimentale à la Sorbonne basée sur la méthode pathologique (sens différent de la psychologie expérimentale actuelle). Il y a actuellement un renouveau d’intérêt pour Janet. On peut diviser son œuvre en deux parties : un travail de psychologie pathologique (à partir de sa thèse de philosophie) jusqu’en 1925 et sa grande synthèse avec une théorie de psychologie générale. Concernant la psychologie pathologique, il étudie avec une psychologie expérimentale les formes inférieures de l’activité humaine (activités automatiques) dans une perspective évolutionniste. A l’époque, on dit que les activités automatiques sont purement mécaniques et donc sans conscience mais pour Janet, « on peut admettre simultanément, et l’automatisme, et la conscience, c’est pourquoi on peut parler d’automatisme psychologique ». Il veut étudier ces mécanismes selon la méthode des sciences naturelles (observation, hypothèse, expériences) sur des hystériques du service de Charcot. Il utilise l’hypnose comme méthode expérimentale. Il parle d’automatisme total (somnambulisme par exemple) et partiel (écriture automatique par exemple). Pour Janet, ces activités automatiques ont toujours un reste de conscience mais qui est pathologique, inférieure, et il parle alors de subconscient. A la base de l’automatisme il y a l’habitude, et l’automatisme est donc une activité passive, reproductrice. D’un autre côté, il y a une activité volontaire, créatrice, qui synthétise. Janet fait un grand système de psychologie allant des conduites les plus simples aux plus complexes. Il formule une théorie évolutionniste des tendances qui sont organisées hiérarchiquement avec les plus automatiques qui sont les plus archaïques et inversement. Il reprend la loi de Ribot. A la base des conduites, il y a des tendances réflexes, puis des tendances sociales, puis au-dessus, des tendances à l’origine des croyances et les plus élaborées (donc les plus récentes) sont les tendances rationnelles. Janet définit sa psychologie comme une psychologie de la conduite car la psychologie du comportement (béhaviorisme) s’applique selon lui à l’animal mais pas à l’homme pour lequel il faut considérer la conscience à travers le langage. Suggestion et « psychologie des foules » : Gabriel Tarde (1843-1904) est un magistrat qui s’est d’abord fait connaître pour ses travaux de criminologie. Il publie en 1890 « les lois de l’imitation » et est élu en 1900 au collège de France sur une chaire de philosophie moderne. Tarde essaye de théoriser la psychologie collective et dans « les lois de l’imitation » il se présente comme sociologue mais est considéré comme un psychologue car il s’appuie sur une psychologie inter-individuelle. Il va étendre le modèle de la relation entre deux individus à l’analyse des sociétés. Il repart du Bernheim, qui avait montré comment une suggestion pouvait se propager par imitation aux malades de tout un service. Bernheim avait rapproché ce phénomène des « épidémies » dans les mouvements politiques et sociaux (vagues d’attentats anarchistes par exemple). Pour Tarde, l’hypnose (ou la suggestion) est la base du lien social : de même que le suggestionné obéit aux suggestionneur, tout sujet dans la société obéit inconsciemment à quelqu’un d’autre et cette relation est calquée sur la relation originelle de tout homme à son père (premier modèle du fils). Selon Tarde, « la société est née d’une suggestion et non d’un contrat […] Toute foule, comme tout famille, a un chef et lui obéit ponctuellement ». C’est un concept inégalitaire. Tarde compare le groupe social à une foule (en suivant un mouvement important du 19ème siècle dominé par des peurs sociales). Il y a un rapprochement entre foule et féminité. Toute foule, même composée d’hommes, est considérée comme hystérique (féminine) et suggestionnable et associée à la criminalité (peur sociale). Gustave LeBon publie en 1895 « psychologie des foules » dans lequel il considère toute foule comme pathologique et que tout groupement constitue une foule. L’homme en foule régresse et retourne à un niveau psychique inférieur. Les foules sont impulsives, versatiles et suggestibles et ont donc besoin de meneurs qui produisent des suggestions collectives induisant une régression avec perte d’individualité : retour aux automatismes (« bête humaine »). La « psychologie des foules » aura un succès très important et sera très bien lu, notamment par des hommes politiques. Freud le critiquera dans « psychologie des masses et analyse du moi ». On ne peut cependant pas dire que la psychologie sociale soit apparue à la fin du 19ème siècle car LeBon n’est pas considéré comme un psychologue et Tarde a été écrasé par la sociologie (avec Durkiem par exemple). Il faudra attendre les années 50 pour observer l’émergence de la psychologie sociale avec Daniel Lagache. |